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Mappe, mapper, mappeur

Très noble et très français mot issu du latin avant que d'être anglicisé, comme l'indiquent le Littré et l'usage de ce mot par Jean-Jacques Rousseau.

"MAPPE (ma-p') s. f. S'est dit quelquefois pour carte, plan. Rousseau, Confessions livre V: "Le lavis des mappes de nos géomètres m'avait aussi rendu le goût du dessin."

Littré cite également un usage juridique du terme qui témoigne d'une belle circulation entre l'espace agricole et ses représentations cartographiques : " attendu que B.... est prévenu d'avoir contrevenu à l'art. 219 du Code forestier en faisant pâturer sur une forêt située sous partie du n° 2741 de la mappe de Taninges".

Mappe est donc synonyme de "carte", dont l'usage technique est relativement récent ("cartographe" et "cartographier" ne remontent guère qu'au XIX° siècle). Outre son ancienneté, mappe a l'avantage de conduire à une famille de termes. Sa fécondité produit ainsi le verbe mapper (prononcer à la française), qui désigne l'action de conception et réalisation de la mappe. Depuis plusieurs décennies maintenant, les chercheurs qui travaillent sur les cartes ont déplacé leur centre d'intérêt depuis l'objet (résultat matériel) vers l'ensemble des processus graphiques, conceptuels, épistémologiques, sociaux, économiques à l'oeuvre dans le mappage (en anglais le "mapping").

Certains usent aégalement du terme mappage pour désigner le feuilletage cartographique du monde, le fait que notre rapport au monde est structuré par l'omniprésence de son mappage multicouches.

On appellera par extension mappeur toute personne impliquée de façon partielle ou totale dans le processus de mapping.

Echelle 1 a ainsi l'ambition de transformer les spectateurs en mappeurs actifs, afin que chaque participant devienne mappeur.

Fantasmappe est un terme qui remplace avantageusement celui de Cartocacoethes. C'est bien entendu un mot-valise constitué de fantasme et de mappe. Fantasmapper c'est ce que vous et moi faisons fréquemment lorsque nous reconnaissons l'Amérique du sud dans une part de pizza. Et il est probable que l'existence d'un mot pour le dire stimule désormais cette saine activité.

Le mot fantasmappe désigne le résultat de cette activité, c'est-à-dire une carte imaginaire (mais très réelle) découverte dans les formes improbables qui s'imposent à nous (nuages, flaques, murs, taches, etc.). Faut-il rappeler à quel point cette activité s'inscrit dans la tradition des conseils adressés à un jeune peintre par Léonard de Vinci  dans ses Carnets : "Si tu regardes des murs souillés de taches ou faits de pierre de toutes espèces, pour imaginer quelque scène […] tu pourras y voir aussi […] d’étranges visages et costumes, et une infinité de choses que tu pourras ramener à une forme nette et complète."

Fantasmappe

Icitude

- "Icitude", ce n'est pas un mot d'ici, ça?
- Non, en effet, c'est un mot nouveau, venu d'ailleurs : il dérive d'ici.
- Du mot ici?
- Oui, d'ici, comme la pastille "vous êtes ici" des plans d’orientation, qui a donné le mot icitude…

 

 

Le terme icitude, forgé pour Echelle 1, rejoint en réalité le concept médiéval d'haecceitas : ce qui fait qu'un élément, un objet est ceci même qu'il est, dans ses particularités et sa singularité. Deleuze parle d’heccéité contrer l'idée classique d'«essence platonicienne» : l’événement dans sa manière propre de survenir aux choses renvoie à des «singularités-événements», à une manière d’être en perpétuelle devenir. 

L'icitude, c'est d'abord le fait d'être bel et bien ici, en ce lieu précis et non ailleurs. Il n'est pas indifférent qu'un objet donné soit ici ou là : son statut et sa nature même sont fonction de sa situation et des relations qu'il entretient avec l'espace et les objets qui l'entourent.

Dans le cadre d'Echelle 1, la notion d'icitude va au-delà. Elle souligne l'importance d'être collectivement ici. Des corps sont en jeu, à travers l'expérience collective d'un espace qui a supposé un déplacement, peut-être une découverte. Le projet et le terme sont nés en réaction contre certaines illusions venues du numérique et d'un monde qui se réduirait à du virtuel ou de la réalité augmentée. Chaque épisode d'Echelle 1 a pour objectif de faire émerger collectivement une icitude, qui ne saurait se réduire à des caractéristiques spatiales ou géographiques.

L'icitude est autant un défi et une opération qu'une apparition (ou son absence). D'où la situation paradoxale : il est impossible de cartographier les icitudes, qui ne sont pas de simples sites remarquables ou "points of interest" dotés de références géodésiques.

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